Pacte d’excellence vs Pacte de conscience


Ce qui est désolant et remarquable en même temps, c’est le fait que les jeunes manifestants “climatiques ” doivent faire la grève des cours pour extérioriser leurs revendications pour un avenir respectueux du milieu naturel qui passerait obligatoirement par une transition écologique efficace.

Désolant ce constat de l’échec de l’école à canaliser cette prise de conscience qui pour s’exprimer a besoin de sortir de ses murs. Remarquable cette volonté de contourner l’enfermement de cette institution qui, routinière et sclérosante plus souvent qu’à son tour, est incapable de se renouveler à l’aune des besoins légitimes des jeunes.

Il est plus qu’urgent que l’école s’ investisse en priorité dans son rôle d’éducatrice permanente et non épisodique concentrée dans une vitrine de cours alibis. Il est étonnant de constater l’ignorance ou de la méconnaissance de nombre d’étudiants interrogés à propos des attentats en France de janvier 2015 sur les notions de laïcité, de blasphème, de multiculturalisme… On ne peut que déplorer à partir de cet exemple, puisé dans mille autres du même type, la déconnexion de l’école par rapport au vécu des jeunes. “Le temps nous manque”, déplorent en choeur les principaux acteurs concernés.

Mais non, il est disponible si on convoque le bon sens et l’imagination, insuffisamment invités à la table des réflexions, pour dépoussiérer les programmes, la méthodologie et les débarrasser de leur fatras d’exigences obsolètes, inadaptées, inadéquates qui encombrent inutilement les esprits ainsi détournés de l’essentiel. Le pédagogue Freinet dans les années 20 critiquait déjà les heures imposées à l’étude normative et théorique des règles de grammaire qu’il résumait en 4 pages, suffisantes pour permettre à ses élèves de manier une langue créative, valorisée par le texte libre et l’expression orale, et progressivement amendée par le tâtonnement expérimental (programme appliqué aujourd’hui avec succès dans la pédagogie coopérative ou institutionnelle, étonnamment initiée au début du 19e siècle dans une expérience fortuite relatée dans : “Le Maître ignorant” de Jacques Rancière). Autre exemple : pourquoi le solfège est-il encore trop souvent considéré comme un préalable obligé à la pratique d’un instrument, au risque avéré de décourager de nombreux candidats musiciens ? Son étude s’imposera d’elle-même avec les difficultés grandissantes. L’école pourrait sans réel problème remplir une mission d’éducatrice avant-gardiste si elle osait se recentrer sur l’essentiel.

Avant d’aborder explicitement les vertus cardinales appelées de tous nos voeux pour donner (re)naissance – car c’est bien d’une deuxième naissance dont il s’agit – à cet homme nouveau capable enfin de développer et valoriser son monde intérieur aux ressources insoupçonnées et inexploitées, il est nécessaire de créer une atmosphère favorable à son émergence.

Or l’école, dans sa méthodologie, son organisation et même ses principes de base, offre une image comparable à la traditionnelle table d’accouchement qui trône dans presque toutes les salles de travail des hôpitaux, plus conçue pour le confort de l’obstétricien que pour la physiologie de la parturiente. Alors que, dans de nombreux pays, le passage automatique de classe dans un contexte bien spécifique a prouvé toute son efficacité, que penser de l’utilisation forcenée de la sélection et du redoublement comme arme de discipline et comme substitut d’une pédagogie naturelle basée sur le tâtonnement expérimental et le droit, si pas le devoir, à l’erreur sans sanction coercitive, mais au contraire avec remédiation et soutien dans le respect du rythme de chacun ?

Que penser de ces matières “tranches napolitaines” qui, dans une fausse impression d’ordre structuré et réfléchi, se succèdent à l’horaire les unes aux autres à marche forcée, sans lien entre elles, dans l’illusion de la capacité de l’élève à s’adapter à un environnement toujours renouvelé sans prise avec ses intérêts, ses interrogations et sa vie extérieure, sur une durée arbitrairement définie ?

Il est impérieux de jeter les bases d’un enseignement qui, pour convaincre de son utilité et entraîner l’adhésion, doit donner du sens à ses apprentissages et les ajuster aux attentes.

Esquissons à très gros traits les orientations et lignes directrices d’un tel programme jusqu’à la mi-adolescence, tronc commun sans spécialisation ni orientation, avec obligation de résultats dans les matières de base (très limitées en nombre) sur les acquis indispensables à la poursuite du cursus ; redoublement interdit ; remédiation immédiate dès l’apparition de difficultés avec au préalable formation poussée des professeurs à la détection et la correction des dysfonctionnements courants : dyslexie, dyscalculie, dysorthographie… ; subordination des apprentissages mécaniques et logiques au spirituel par la mise en place et la généralisation, comme pour l’apprentissage d’une langue, d’une “immersion de conscience” où les deux maîtres mots sont : participation et exemple et par une lente imprégnation dans un bain révélateur de connaissances, de réflexions, de compréhensions orientées, amendées, disciplinées, exhaussées par l’esprit, le coeur et l’âme, bref par la conscience qui fédère entre elles les “productions supérieures” de l’homme pour l’élever au rang d’humain et lui imprimer suffisamment son empreinte durant cette période initiatique pour servir de matrice référentielle plus tard en tant qu’adulte dans ses choix de vie (profession, famille, citoyen…).

La philosophie dans toutes ses composantes de questionnement surtout sur la nature humaine constitue par excellence la matière noble propice à cette élévation. Pierre angulaire des apprentissages, elle devrait au préalable les soumettre au détecteur de sens avant la traditionnelle connivence studieuse.

A ce propos, saluons l’initiative prise par les hautes instances officielles de l’enseignement en communauté française pour enfin introduire, déjà à partir du primaire, des cours de questionnement philosophique, de dialogue interconvictionnel et d’éducation à une citoyenneté active. Des intitulés qui augurent bien de l’orientation à donner dans le sens qu’ils ouvrent des perspectives d’interrogations, de doutes à partager, de confrontations de points de vue, de pratiques de dialogue,

d’ouvertures au pluralisme, comme dans ” La Philosophie pour Enfants” (Matheew Lipman),un modèle du genre, loin des certitudes et des dogmatismes assénés à coup de réponses formatées. Applaudissons cette initiative mais avec réserve et prudence, car quel bénéfice en retirer si la sollicitation à penser par soi-même grâce aux autres s’arrête aux frontières du dialogue, aussi respectueux soit-il (le débat ouvert à tous est déjà à considérer comme un progrès) et ne débouche que sur une verbalisation platonique aux effets limités et si elle ne baigne pas dans un milieu ouvert, dans des zones où elle devra s’incarner dans le vécu des élèves et raffermir la justesse de leur réflexion ? Que valent les paroles sans les actes ? Démonstration par l’absurde dans le sketch de Coluche où l’on assiste aux reproches formulés par un père imbibé d’alcool à son fils fumeur de joints ou dans la fameuse scène du philosophe du Bourgeois Gentilhomme de Molière. Une telle exigence de concepts vertueux ne se conçoit que dans la participation concrète de ceux chez qui on la sollicite et dans la rigueur exemplaire de ceux qui la réclament. Aussi y a-t-il lieu de mettre en place, sous peine de ravaler une fois de plus un matériau noble au rang de verbiage autosatisfaisant, une série de mesures qui convaincront de la qualité d’une pareille entreprise.

Epinglons :

dans une démarche démocratique : élections de délégués à différents niveaux décisionnels avec présence aux conseils de classe ; réunions de coopérative, communautés de recherche…;
dans une démarche de justice et de protection contre l’arbitraire : des consignes précises et des critères de cotations préalables au travail demandé, des grilles d’autoévaluation, des justifications détaillées, des recours effectifs…;
dans une démarche du respect de la personne : interdiction de tout jugement moral à propos de l’élève, prise en compte de contextes personnels, imposition de règles partagées : ponctualité, politesse…;
dans une démarche de prise de conscience : participation des élèves aux tâches ingrates de rangement, de nettoyage, de tri sélectif et aux campagnes antigaspillage (papier, nourriture, matériel…) ; repas bio avec produits locaux et de saison ; vente d’en-cas équilibrés (fruits frais, fruits secs, soupe…) ; exploration des ressources locales, voyages lointains réduits à la portion congrue…;
dans une démarche d’autonomie : établissement de contrats, plans de travail et grilles d’évaluation, alternant recherches personnelles (avec guidance préalable et impérieuse sur le net) et présentation à la collectivité, remédiation imposée ou volontaire, cours magistraux selon la nécessité…;
dans une démarche de création : multiplication d’initiations et d’expériences danstous les domaines : physiques, culturels, spirituels, manuels, artisanaux, artistiques… selon les suggestions, les désidératas, les opportunités, en constante liaison avec le terreau local : associations, groupes, entreprises… Penser particulièrement à l’expression théâtrale, la danse, la musique (chant, apprentissage d’un instrument de musique)…;
dans une démarche d’esprit critique : décrypter l’actualité et les préoccupations quotidiennes amenées à la surface à la faveur de textes libres, de débats, de lectures en puisant aux sources historiques, littéraires, scientifiques…dans des projets décloisonnés, avec l’aide éventuelle d’intervenants extérieurs à la classe (bibliothécaires, parents…) et en laissant au temps et à la maturation le soin d’édifier les synthèses nécessaires à la compréhension globale des mondes entrevus.
Programme certes révolutionnaire par rapport à celui en vigueur actuellement, mais en réalité pas neuf du tout ( le progrès consiste d’abord à jeter un grand coup d’oeil rétro). Il suffit pour s’en convaincre de revisiter les visionnaires de l’école moderne : Freinet, Steiner, Decroly, Dewey, Rodger, Neil, Oury… de s’enquérir de la pédagogie nomade, institutionnelle, anarchiste, de l’école du futur ou de la deuxième chance, de la philosophie pour enfants… . Pour quel résultat ?

Difficile d’en juger pour tout ce qui touche aux expériences ilotières au milieu d’un océan conventionnel, car trop peu nombreuses pour être représentatives, et même pour celles institutionnalisées depuis des décennies à l’échelle nationale dans

les pays nordiques, car largement imbriquées dans une société progressiste, notamment par les incitants à la prééminence parentale dans la prise en charge des enfants, pour être identifiables. Comment différencier ce qui relève de la culture ambiante de ce qui appartient spécifiquement à l’enseignement ?

L’école en est-elle le moteur ou simplement l’appendice ? Le système scandinave a-t-il produit ou est-il en train de produire un homme nouveau, un éco-citoyen à la place d’un égo-citoyen, un consommacteur critique et raisonnable, un créatif culturel, bref un exemple à généraliser ?

A quand l’instauration d’une agence de notation pour attribuer des cotes encourageantes aux initiateurs et aux exécutants de programmes éducatifs humanistes en lieu et place de ces certifications rigides et formatées style PISA en inadéquation totale avec le besoin de plus en plus urgent d’évaluations souples et personnalisées, reflets d’une maîtrise de repères solides.

Pierre Crombez – Enseignant à la retraite.

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