Coronavirus et le printemps silencieux

Coronavirus et le printemps silencieux 

Avec son livre “Printemps silencieux” paru en 1962 et qui a connu un retentissement mondial, l’écologiste américaine  Rachel Carson a lancé, la première, l’alerte sur la toxicité des pesticides de synthèse, particulièrement du DDT, responsables à ses yeux de l’amenuisement de la population des oiseaux. Printemps car, prélude, en cas d’inertie des autorités compétentes pour limiter leur usage, de leur montée en puissance et par voie de conséquence d’un risque d’aggravation de la situation. Silencieux, car leur extension participait, grâce à la désinformation organisée des industriels de la chimie mise en cause, de l’élimination lente, progressive et en catimini des oiseaux qu’on n’entendait plus chanter. 60 ans plus tard, on ne peut que déplorer la justesse de cette lucidité prédictive qui s’est aggravée depuis monstrueusement. 
Ces temps-ci nous aussi sommes entrés dans un printemps silencieux. Anecdotique synchronicité lointaine ou signe avant-coureur (printemps prenant dès lors, comme dans le livre, valeur symbolique d’émergence) du même processus d’élimination mais qui vise ici les humains? Silencieux aussi car impressionnant état de fait suite aux mesures de confinement et d’arrêt de la plupart de nos activités habituelles. 
Quel lien autre que lexical établir entre les événements évoqués ? Nous avons affaire à 2 drames, l’un sanitaire bien identifié, comptabilisable, mondialisé, spectaculaire, concentré ; l’autre écologique diffus(la virulence du coronavirus en Chine et en Lombardie serait due à la pollution atmosphérique par les particules fines), mal quantifiable, affectant modérément les pays riches, souvent impalpable (ex: les tonnes de CO2 à économiser!) étalé dans le temps et l’espace. La prise de conscience du premier a engendré logiquement des réactions, inimaginables il y a peu, à la hauteur des enjeux; alors que le second attend toujours les “decrets” draconiens d’application pour contrer une mortalité “écologique” passée, présente et future infiniment supérieure aux ravages subodorés du coronavirus, sans parler de la menace d’extinction de l’espèce humaine; situation comparable à l’écho donné aux attentats du 11 septembre 2001 à New-York et au peu de cas accordé au  11 septembre quotidien que vivent tant de miséreux des pays minés surtout par notre “terrorisme” d’exploitation de tous ordres! 
La démonstration grandeur nature de cette rapide réactivité obligée face à  la pandémie conforte ma conviction ancrée depuis de nombreuses années que le changement radical du mode de vie des nations privilégiées, cause première du risque d’anéantissement de notre civilisation, en dépit des cris d’alarme insistants de la communauté scientifique et des iniatives louables orchestrées partout dans le monde, ne viendra pas de l’émergence d’une masse critique vertueuse venue de l’intérieur, même suscitée par l’inopérante pédagogie du catastrophisme, mais bien des désastres de très grande amplitude qui, affectant durablement les nantis, imposeront, à condition de ne pas les anéantir, ce changement indispensable à notre survie (argumentation développée dans le blog de www.fairecommesi.com).
Souhaitons que le temps suspendu actuel ne ressemble pas à la minute de silence dans un stade où les supporters piétinent d’impatience de faire éclater leurs bruits et leurs fureurs, mais bien à un temps de réflexion pour surfer sur la vague écologique des mesures prises qui s’apparentent non intentionnellement à un programme partiel de transition énergétique: réduction de la production industrielle, de la consommation d’énergie, des déplacements,  du tourisme, de la pollution… à adapter dans le cadre d’une organisation structurée capable de satisfaire les besoins essentiels de tous.
Restructuration d’autant plus urgente et nécessaire qu’une récession économique et sociale se profile à coup sûr à un horizon proche qui entre autres méfaits délétères  aggravera encore plus le sort des précarisés et dont il convient de se prémunir, à l’instar du Conseil National de la Résistance française qui déjà 2 ans avant la fin de la seconde guerre mondiale élaborait un programme de réformes preque révolutionnaires à mettre en oeuvre à la Libération. Imitons-le pour amortir le choc de l’après crise susceptible d’être aussi redoutable, si pas plus, que la crise elle-même, en planifiant dès à présent une refonte de notre système qui a mis en pleine lumière sa fragilité et sa vulnérabilité par trop de sophistication, de rigidité, de gigantisme, de dépendance et d’absence de petites structures ( “Small is Beautiful” titrait l’économiste E. Schumacher en 1973 dans la foulée du clairvoyant Club de Rome Halte à la croissance ) souples, autonomes, locales et résilientes, en refusant par avance les “plus jamais ça” stériles et inconsistants comme l’a encore prouvé l’après crise financière de 2008, en se méfiant des élucubrations de notre fantasque intelligence non assagie par la sécurisante conscience ( le raisonnable n’est pas d’office l’enfant légitime du rationnel, loin s’en faut!) et en s’efforçant de vivre de plus en plus dans la suffisance, la modération, la simplicité, la sobriété volontaires avant qu’une éventuelle nouvelle catastrophe nous contraigne à un silence de moins en moins printanier. 

Pierre Crombez

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